Lorsqu’on parle du cancer, on ne pense pas forcément à sa dimension juridique. Et pourtant ! À la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) depuis 2017, Yves Hochuli incarne cette facette encore trop méconnue – mais essentielle – de l’accompagnement des personnes touchées par la maladie : le soutien juridique. À 44 ans, ce Vaudois d’adoption affiche un parcours atypique, marqué par une carrière de tennisman, les voyages, l’apprentissage des langues et un engagement constant pour une justice humaine accessible à toutes et tous.
Né à Barcelone de parents suisses alémaniques, Yves Hochuli grandit entre l’Espagne, la France et la Suisse : « Mon père travaillant dans l’aviation, les voyages et déménagements se succédaient et les horizons s’élargissaient. Dès l’âge de trois ans, il s’initie au tennis, une passion dévorante. Il atteint le top 100 suisse et part s’entraîner sept mois en Argentine dans une académie. Là, il en profite pour apprendre l’espagnol, langue qui deviendra un atout précieux : « Parler espagnol m’a permis de mieux aider les patients ne parlant pas français », confie Yves Hochuli qui maîtrise également l’allemand, le suisse allemand et l’anglais. « Les langues sont des outils concrets pour créer du lien. »
CONSTRUIRE DES PONTS
Avant de plonger dans le droit, Yves Hochuli cherche sa voie. Il bifurque, explore, voyage. Après avoir renoncé au tennis professionnel, il entame des études de droit à Genève, puis complète un master à Zurich, renforçant ainsi son bilinguisme et sa compréhension des différents systèmes juridiques helvétiques. Il obtient son brevet d’avocat en 2011, après des stages exigeants dans les deux régions linguistiques. Mais en exerçant son métier d’avocat, il se retrouve rapidement en porte-à-faux avec ses convictions personnelles. « Je devais conseiller des multinationales sur la manière de licencier à moindre coût. J’ai vite compris que je voulais autre chose. » Et ce « quelque chose » se précise après un voyage en Inde. Il y distribue des crayons dans un orphelinat – un geste symbolique, mais révélateur. Un moment dont il se souvient d’autant mieux qu’à cette occasion il fait la connaissance de celle qui deviendra son épouse.
UN TRAVAIL DE PIONNIER
Il travaille ensuite trois ans dans une protection juridique, au contact de personnes en situation précaire. « J’y ai découvert une autre dimension du métier, plus proche, plus humaine. » Grâce à un heureux hasard, il tombe sur une annonce de la LVC qui cherche un juriste pour fonder une permanence interne, initiative inédite dans le réseau des ligues cantonales suisses. « Et je m’y épanouis depuis bientôt huit ans. »
Son rôle est désormais de répondre aux multiples questions juridiques soulevées par le cancer : contrats de travail, assurances sociales (invalidité, chômage, etc.) et privées, congés parentaux pour enfants malades et succession… Tout y passe. À tel point qu’entre 2023 et 2024, les demandes ont quasiment doublé. « J’ai accompagné 220 patients en une année. Cette hausse s’explique par plusieurs facteurs : l’augmentation du nombre de cas de cancer, la précarisation des malades, la complexité des situations individuelles et familiales, mais aussi la réputation grandissante du service. » Car on l’oublie trop souvent, la maladie ne fragilise pas que le corps. « Lorsqu’on est brutalement confronté à une perte de revenus, une augmentation des charges et des démarches administratives compliquées, le droit devient vite un labyrinthe. Beaucoup de personnes n’auraient pas les moyens de consulter un avocat. Ici, elles peuvent être écoutées, soutenues et orientées gratuitement. C’est fondamental. »
L’ATTENTION, LA CLARTÉ, LA BIENVEILLANCE
Au fil des années, Yves Hochuli est devenu une figure pivot au sein de la LVC, assurant aussi la coordination de l’équipe sociale, le lien avec les ligues suisses alémaniques, la gestion des questions de ressources humaines et la participation à la stratégie de l’association.
Face aux défis à venir, notamment l’envahissante intelligence artificielle, il reste lucide : « ChatGPT fournit peut-être des textes de loi, mais pas une écoute. Ce que les patients apprécient, c’est la qualité humaine de l’accompagnement. L’attention, la clarté, la bienveillance. C’est irremplaçable. » Il se souvient d’un patient qui, au-delà de l’aide technique, avait surtout salué « la chaleur humaine des professionnels de la LVC ». Et pour lui, c’est la plus belle des reconnaissances.
Père d’une fille de huit ans, Yves Hochuli n’est pas près de perdre le goût de transmettre. Ni celui de tisser du sens, entre le droit, les trajectoires de vie et le lien social. Dans un monde de plus en plus technique, il rappelle que « la justice se conjugue toujours au singulier, chaque itinéraire de vie étant unique ».
Propos recueillis par Daniel Abimi
Crédit photo : Philippe Gétaz
