L’annonce du cancer de Kate Middleton, âgée de 42 ans, et la parution presque simultanée d’une étude publiée dans BMJ Oncology montrant que le nombre de cancers chez les moins de 50 ans avait doublé en trente ans ont eu des répercussions mondiales. Et pour cause, selon cette étude, la courbe indique une progression de 79 % ; passant de 1,82 million de cas dans le monde en 1990 à 3,26 millions en 2019. Cette étude montre également que plus d’un million de personnes de moins de 50 ans sont mortes d’un cancer en 2019 – les plus mortels étant les cancers du sein, du poumon, du côlon-rectum et de l’estomac. Forts de ces chiffres, de nombreux médias ont titré sur une épidémie de cancers. Spécialiste de la prévention du cancer et expert reconnu du dépistage, le docteur en épidémiologie Jean-Luc Bulliard explique pourquoi cette réalité en Suisse doit être fortement nuancée : « Pour simplifier, il s’agit d’une étude qui fait état d’une augmentation mondiale du nombre de cancers. Mais si l’on veut avoir une vision réaliste, il est primordial d’étudier l’incidence de la maladie, qui tient compte de l’évolution démographique, c’est-à-dire l’accroissement de la population et son vieillissement. »
QUID DE LA SUISSE ?
Pour l’épidémiologue, les environnements, les habitudes et les styles de vie, la culture et les expositions aux risques du cancer peuvent varier fortement d’une population à l’autre : « Cela dépend beaucoup du niveau de développement d’un pays. Et pour ceux à haut revenu, comme la Suisse, les tendances sont bien plus favorables. Car, si l’on s’attarde sur les détails de cet article, on constate au contraire que l’incidence est stable, avec une baisse de la mortalité chez les moins de 50 ans. Ces résultats concordent avec les données dont nous disposons en Suisse grâce au réseau des registres cantonaux des cancers. »
Par exemple, si l’on s’en tient aux données suisses, on constate une augmentation de l’ordre de 25 %, soit quelque 4000 cancers par année chez les moins de 50 ans en 1990, contre 5000 cas en 2020. « Cela représente un taux d’incidence de 112 cas pour 100 000 personnes, contre 116 trente ans plus tard. Soit une hausse minime », souligne Jean-Luc Bulliard. À titre de comparaison, sur une période qui s’étale de 2018 à 2025, Unisanté, le Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne, a fait une projection prédisant une augmentation de 15 % du nombre de cancers, tous âges confondus : « Mais nous avons pu montrer que cette augmentation était due à l’accroissement de la population et, en premier lieu, à son vieillissement. En termes d’incidence, cela se traduit par une évolution stable, voire en très légère baisse. Cette tendance favorable reflète en partie les premiers effets à long terme de la prévention. Et sachant que 40 % des cancers sont évitables grâce à la prévention, on devrait bientôt observer une baisse de l’incidence. »
CERTAINS CANCERS À LA HAUSSE
Jean-Luc Bulliard constate cependant une légère hausse auprès des personnes entre 30 et 39 ans. En analysant les différents types de cancers, on observe une nette augmentation du cancer de la peau en Suisse, où l’on a enregistré entre 50 et 100 % d’augmentation – soit un doublement en trente ans, selon les groupes d’âge. Jean-Luc Bulliard : « Sans doute subit-on les conséquences de la surexposition au soleil de ces dernières décennies ; et la sensibilisation du public et des professionnels de santé au danger du soleil a entraîné plus de détections. »
Le cancer du côlon connaît également une augmentation, certes moins marquée, surtout avant 40 ans. Probablement lié au mode de vie et à l’alimentation, cette tendance est vérifiée dans de nombreux pays : « On observe aussi une légère augmentation des cancers du sein, peut-être en raison de dépistages plus précoces. Il en va de même pour ceux de la prostate. Également en augmentation, le cancer du pancréas à partir de 45 ans, celui-ci étant souvent lié au style de vie, au tabagisme et au diabète. »
70 % DES CANCERS SE SOIGNENT
À l’inverse, Jean-Luc Bulliard se réjouit, chez les moins de 50 ans en Suisse, de la baisse (même en chiffres absolus) du cancer du col utérin – « probablement grâce au dépistage et au programme de vaccination dans les écoles contre le virus du papillome humain » – et de celle du cancer du poumon, sans doute en raison d’une diminution du nombre de fumeurs, et dans une moindre mesure des fumeuses : « Les types de cancer que j’ai mentionnés constituent la moitié de tous les cas de cancers. Pour les cancers moins fréquents, soit quelques dizaines de cas en Suisse, une interprétation fiable des tendances est plus difficile. Mais avant tout, il est important d’insister sur le fait que la mortalité due au cancer a baissé. Car, au-delà de la prévention, les traitements sont beaucoup plus efficaces qu’avant. Dans l’esprit des gens, « cancer égale mort » ; ce n’est de loin plus vrai : près 70 % des cancers se soignent ! »
SOUS HAUTE SURVEILLANCE
Que penser alors des gros titres de la presse suscités par l’étude publiée dans BMJ Oncology ? Comment communiquer des chiffres sur le cancer sans être alarmiste avant l’heure ou, au contraire, négliger une tendance qui s’installe ? Pour Jean-Luc Bulliard, ces questions mettent en lumière l’importance de disposer de registres qui répertorient tous les cas de cancer et de certaines lésions précancéreuses : « La maladie est ainsi mise sous haute surveillance, tous les cas sont encodés selon des mêmes critères permettant ensuite des analyses et des comparaisons d’une région ou d’un pays à l’autre. Cela permet aussi d’observer l’évolution des différents cancers et d’en étudier les causes, d’aiguiller des mesures de prévention, d’évaluer leur impact et d’orienter des politiques publiques. Il est indéniable que ces registres en Suisse nous aident à garder la tête froide. »
Daniel Abimi
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