QU’EST-CE QUI VOUS A AMENÉE VERS LES SOINS PALLIATIFS, À UNE ÉPOQUE OÙ CEUX-CI EN ÉTAIENT À PEINE À LEURS BALBUTIEMENTS ?
Je me suis toujours posé des questions existentielles, par rapport au sens de la vie et à la mort. Cela explique sans doute en partie mon parcours. Au terme de mes études, j’ai commencé la chirurgie. J’ai été déçue quand j’ai réalisé que je ne reconnaissais mes patients qu’à leurs cicatrices. J’ai alors bifurqué vers la psychiatrie, pensant que j’y trouverais une relation plus humaniste, en vain. C’est là que j’ai entendu parler du professeur Rapin et de son unité de soins palliatifs à Genève, la toute première du genre en Suisse. Je l’ai rejointe et j’ai adoré. J’y ai trouvé le condensé de ce que je voulais faire, avec à la fois ce rôle clinique et cette relation avec les patients.
DE RETOUR AU CHUV POUR VOUS SPÉCIALISER EN MÉDECINE INTERNE, VOUS Y INTRODUISEZ PEU À PEU LES SOINS PALLIATIFS. COMMENT ?
Grâce d’abord aux équipes infirmières. En médecine interne, nous avions beaucoup de patients en fin de vie. Et nous avons commencé, au noir si je puis dire, à pratiquer des soins palliatifs. Un jour, j’ai osé proposer au professeur Burckhardt, le chef du service, de m’occuper d’un de ses patients en phase terminale. Tout s’est bien passé et c’est ainsi qu’il m’a confié l’ensemble de ses patients en fin de vie. Par la suite, la direction du CHUV m’a proposé de développer les soins palliatifs au sein de l’hôpital. C’était dans les années 90. Nous étions deux, une infirmière et moi. Peu à peu, grâce au soutien sans faille du professeur Burckhardt et du directeur du CHUV de l’époque, Bernard Decrauzat, notre équipe s’est étoffée. Aujourd’hui, le canton de Vaud dispose d’un réseau de soins palliatifs dans toutes les régions, avec plusieurs équipes mobiles à domicile et de cinq unités de lits.
COMMENT LES SOINS PALLIATIFS SONT-ILS PERÇUS ?
Au début, pour les médecins, nous étions des anges de la mort prodiguant des soins optionnels. Il a fallu dix ans pour être reconnus comme une consultation parmi d’autres. Cela a été beaucoup plus rapide avec le service d’oncologie. Toutefois, tout comme le grand public, une bonne partie des professionnels de santé pense encore que les soins palliatifs sont synonymes de fin de vie.
ET CE N’EST PAS LE CAS ?
Non. Les soins palliatifs font partie des soins de support, que je définirais comme une approche coordonnée de différentes spécialités soignantes et médicales visant à améliorer la qualité de vie. On distingue trois types : les soins précoces, qui s’adressent aux patients en phase curative voire en rémission, avec des symptômes physiques, psychologiques ou des difficultés sociales ; les soins en phase avancée, lorsque la maladie est incurable mais peut être ralentie par les traitements ; et les soins terminaux, où l’espérance de vie se calcule en jours ou en semaines. Quel que soit le type, la qualité de vie est le fil rouge omniprésent au sein des soins palliatifs.
EST-CE QUE CETTE QUALITÉ DE VIE S’OPPOSE À CERTAINS TRAITEMENTS ?
Si un patient est partant pour un projet curatif ou de prolongation de son espérance de vie, la qualité de vie est toujours un objectif essentiel, mais elle pourra éventuellement être pondérée par les effets secondaires des traitements. Évidemment, le patient participe aux décisions, c’est pourquoi il est essentiel de bien lui expliquer les enjeux, pour qu’il puisse prendre une décision éclairée. C’est la dimension éthique des soins.
ET QU’EN EST-IL DU SUICIDE ASSISTÉ ?
Là aussi, une posture éthique doit prévaloir. Lorsqu’un patient fait état de son désir de mourir, on a le devoir, en tant que professionnel, de comprendre quelle en est l’origine, de voir s’il est lié à des souffrances physiques ou psychologiques sur lesquelles on peut agir et, le cas échéant, de lui proposer les actions possibles pour le soulager. Toutefois, si le patient maintient son choix, c’est à respecter. Pour moi, ce n’est pas un échec s’il recourt au suicide assisté. Ce qui serait un échec, ce serait de l’abandonner dans un moment aussi difficile, de rompre le lien, parce qu’on a un autre point de vue que lui.
QUELS BÉNÉFICES VOYEZ-VOUS DANS LES SOINS PALLIATIFS ?
Hormis l’amélioration de la qualité de vie, ils permettent aux patients d’avoir des projets, même minimes. Des projets qui donnent du sens à leur vie, les font se sentir utiles. Être vivants jusqu’à la mort. Quant aux proches, dont on ne voit souvent pas la détresse, ils peuvent y trouver un espace d’écoute et d’accompagnement.
LES DIRECTIVES ANTICIPÉES JOUENT-ELLES AUSSI UN RÔLE POSITIF ?
Absolument. Même si cela peut être inconfortable de les réaliser, une fois faites en étant accompagné, les directives anticipées sont un soulagement pour bon nombre de mes patients. Pour les proches aussi. Beaucoup craignent de devoir porter le poids de décisions difficiles. Les directives anticipées permettent aussi de favoriser le dialogue entre ceux-ci et la personne. Pour le personnel de santé, c’est un outil qui favorise le respect des volontés du patient, mais aussi un outil de communication magnifique. Il permet de mieux connaître le patient et ses valeurs de vie. En oncologie, j’observe que le fait de découvrir la personne derrière le patient, en prenant le temps de l’écouter et de communiquer avec elle, améliore la résilience des oncologues face au burn-out auquel leur profession peut les exposer.
QUELS SONT VOS SOUHAITS POUR L’AVENIR ?
Que les soins palliatifs et les directives anticipées soient davantage ancrés dans la pratique médicale. Il faudrait beaucoup plus de formation sur ces sujets. Certaines questions liées à la globalité de l’individu, à la gestion de la qualité de vie et à la communication sont encore bien trop peu développées. J’espère qu’un changement va s’opérer. Pour le bien de tous.
Propos recueillis par Christine Theumann-Monnier
Crédit photo : philippegetaz.ch