« Un employeur a le droit de poser toutes les questions qui concernent l’activité professionnelle du futur employé . » Juriste à la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC), Yves Hochuli pose d’emblée le cadre dans lequel on peut éviter de parler de son cancer pendant un entretien de recrutement. Selon les métiers, la maladie peut limiter la capacité à accomplir certaines tâches : un cancer du sein peut par exemple empêcher une coiffeuse de lever souvent le bras. Toute personne qui postule à une offre d’emploi a donc « l’obligation de parler spontanément des limites que sa santé lui pose en lien avec la prestation de travail à fournir ». En revanche, rien dans le droit suisse n’oblige à nommer la maladie dont on souffre ; on peut se contenter de dire à un futur employeur ce qu’on ne peut pas faire. La législation permet ainsi aux employés de garder une certaine réserve lors d’un entretien d’embauche. C’est également le cas lorsque la maladie se déclare en cours d’emploi : « Lorsqu’on doit se mettre en congé maladie à cause d’un cancer, il suffit d’envoyer un certificat médical qui indique une incapacité de travail à 100 % », dit Yves Hochuli. « Le médecin n’a pas à mentionner la raison de cette absence. »
ENTRE THÉORIE ET RÉALITÉ
En théorie, tout paraît donc assez clair... Seulement voilà : « Il y a le droit, et il y a la vie réelle », relève Yves Hochuli. Si un certificat médical est délivré par un médecin généraliste, l’origine du congé peut effectivement rester secrète. Mais si le document est signé par un oncologue, son entête suffit à indiquer la nature de la maladie. Par ailleurs, la situation que créent la plupart des maladies oncologiques est souvent reconnaissable d’elle-même : « C’est souvent un secret de polichinelle », dit le psychiatrepsychothérapeute Yann Corminboeuf, qui collabore régulièrement avec la LVC : « La particularité du cancer, c’est qu’il ne se guérit pas en trois semaines. Une maladie oncologique implique généralement un arrêt de travail de plusieurs mois. » Garder le secret, comme le droit l’autorise, n’est donc le plus souvent pas tenable : « La plupart des personnes qui ne veulent pas en parler finissent par le dire », conclut le psychiatre qui ne voit, dans son cabinet, « qu’une minorité de patients qui maintiennent le secret ». Sans doute, les récents progrès médicaux rendent-ils aujourd’hui les choses plus faciles qu’auparavant. Les nouveaux traitements, immunothérapies personnalisées ou chimiothérapies ciblées, tendent à transformer nombre de cancers en maladies chroniques. Il est aussi devenu courant d’aboutir à une guérison : « De plus en plus de patients se remettent de situations graves », dit Yann Corminboeuf. Beaucoup de patients entrent ainsi « dans une zone grise » qui permet de maintenir la perspective d’un retour au travail. Bien évidemment positive, cette évolution a aussi son revers : « Les employeurs pensent parfois que la fin des traitements, c’est le retour à la vie d’avant. » Revenir d’un cancer ne veut cependant pas dire avoir retrouvé toutes ses capacités physiques et mentales, loin de là. Il faut alors faire comprendre à son patron que le métabolisme a besoin de temps pour récupérer.
NE DONNER QUE LES INFORMATIONS NÉCESSAIRES
La question de savoir comment parler de son cancer au travail concerne donc davantage le niveau d’informations qu’il faudrait donner au sujet de sa maladie. Le secret qu’autorise la loi permet de se limiter à ce qu’il est nécessaire d’en dire pour faire comprendre sa situation. « Ce n’est pas parce qu’on en parle qu’on doit être un livre ouvert », dit Yann Corminboeuf. Les détails de la maladie et des traitements sont de l’ordre de l’intime. » Et pour savoir à quel point il est nécessaire de livrer des détails sur son état, il faut évaluer le contexte de travail. Dans une petite entreprise, où l’absence prolongée d’un employé peut poser un défi existentiel, la direction a sans doute besoin de connaître la situation avec une certaine précision. Une grande entreprise, en revanche, peut disposer de solutions de remplacement provisoire et de conditions de travail adaptées au retour. Son service de ressources humaines peut s’en tenir au minimum d’informations nécessaire.
QUEL RISQUE DE LICENCIEMENT ?
Reste la menace du licenciement, qu’on peut toujours craindre en annonçant une maladie oncologique à son employeur. Là aussi, la situation change sensiblement selon le contexte. Le droit suisse offre un délai de protection : « Pendant la première année d’emploi, le droit privé protège pendant 30 jours au cours desquels tout licenciement est considéré comme nul », précise Yves Hochuli. Cette période passe à 90 jours de la deuxième à la cinquième année d’emploi dans la même entreprise. Et au-delà de six ans, la protection s’étend jusqu’à 180 jours. Cela dit, le droit suisse est « très libéral », relève le juriste. Il est toujours possible qu’à la fin d’un délai de protection, une entreprise procède à un licenciement sec en invoquant l’incapacité de l’employé à accomplir sa tâche.
Mieux vaut alors travailler dans une administration, où ce type de management brutal ne se pratique généralement pas : « Dans le domaine du droit public, il est plus difficile de licencier, dit Yves Hochuli. « La loi sur le personnel de l’administration vaudoise, par exemple, offre généralement une protection plus large qui permet aux employés de parler plus librement de leur maladie. » Attention cependant à ne pas mettre toutes les entreprises privées dans le même sac : il existe bien des départements de ressources humaines qui chercheront à trouver des solutions. En dernière analyse, vivre au mieux son cancer au travail dépend aussi de la relation qu’on entretient avec son employeur – qu’il soit public ou privé.
Pierre-Louis Chantre
Crédit photo : www.lelixir.ch