NURIA GORRITE, COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS, AUJOURD’HUI ?
Très bien. J’ai récupéré sur les plans physique et moral. Mais je sais que certaines de mes compagnes d’infortune n’ont pas cette chance. Je me sens donc très reconnaissante.
REVENONS EN SEPTEMBRE 2023, LORS DE CET EXAMEN DE ROUTINE QUI RÉVÈLE UN NODULE SUSPECT…
J’y suis allée sans me douter de rien, car j’étais en pleine forme physique. Or, lors de l’auscultation, j’ai vite compris qu’on était face à une difficulté. Ma doctoresse a immédiatement pratiqué une biopsie. C’est peu après que le verdict est tombé : carcinome du sein à un stade précoce et de biologie favorable.
QUELLE EST LA PREMIÈRE PENSÉE QUI VOUS A ALORS TRAVERSÉ L’ESPRIT ?
Ma fille. Pendant toute la biopsie, je me suis demandé comment j’allais lui annoncer ça. D’autant que cette nouvelle arrivait juste trois mois après le décès de ma mère à la suite d’un cancer foudroyant. Je l’avais accompagnée dans toutes les étapes de la maladie. Je sortais donc d’une période très difficile et on m’annonce mon cancer. C’était le choc ! Mais très vite, il faut se mettre en mode combat et ça, je sais faire.
QU’EST-CE QU’IL SE PASSE ENSUITE ?
Quand on est conseillère d’État, on a un devoir de transparence envers celles et ceux qui vous ont élue. J’ai donc sans hésitation voulu annoncer ma maladie. Par ailleurs, j’avais la conviction qu’en le faisant, je contribuerais à montrer l’utilité du programme de dépistage du cancer du sein. Car je peux le dire : ce dépistage m’a sauvé la vie ! Parler publiquement de ma maladie, c’était aussi affirmer qu’il ne doit pas y avoir de tabou autour d’un cancer qui touche une partie du corps hautement symbolique chez la femme. J’estime qu’en tant qu’élue, j’ai une posture publique et politique qui doit servir à toutes celles qui sont confrontées à cette situation.
Il faut ensuite s’organiser sur le plan professionnel. J’aimerais remercier ici Vassilis Venizelos, mon suppléant officiel, nos équipes respectives, de même que mes autres collègues du Conseil d’État, qui ont parfaitement pris en charge mes trois mois d’absence.
ÉTAIT-CE DIFFICILE DE SE RETIRER AINSI DE LA VIE PROFESSIONNELLE ?
J’ai eu beaucoup de chance car je n’ai pas dû m’absenter à 100 %. Mon état de santé a permis que je continue à venir régulièrement à mon bureau et à donner des orientations stratégiques sur certains dossiers. C’était très motivant, car c’est important de ne pas se sentir réduite à son état de malade. Je n’ai toutefois jamais été dans le déni de ce qui m’arrivait et j’ai suivi les prescriptions médicales. Mais j’étais aussi une élue, de même qu’une fille, une mère, une amie… Comme tout être humain, je suis un mille-feuilles et heureusement, j’ai pu continuer à jongler avec toutes ces couches qui me constituent.
QU’EST-CE QUI VOUS A PERMIS DE VOUS RESSOURCER ?
C’est un peu étrange formulé ainsi, mais moi-même. Je m’explique : quand on est conseillère d’État, on a peu de temps pour soi. Or, avec ma maladie, j’ai dû prendre ce temps. Je l’ai même accueilli, en essayant de voir ce que cela comportait de positif. Et je dois dire que cela a été une expérience nouvelle et bienfaisante. L’écoute et le partage avec des gens qui vivent les mêmes épreuves m’ont également beaucoup apporté. J’ai de plus eu la chance d’être entourée de bienveillance tant dans mon environnement professionnel qu’au niveau personnel. Ma fille de 26 ans, en particulier, a été extraordinaire. Nous avons une relation très profonde qui a été d’un immense soutien. Nous avons partagé du temps de qualité et marqué symboliquement toutes les étapes de la maladie en célébrant… la vie !
COMMENT S’EST PASSÉ LE RETOUR AUX AFFAIRES ?
Bien. Je redoutais de ne pas avoir l’énergie suffisante. Je craignais aussi de ne pas supporter le traitement préventif d’hormonothérapie. Mais tout se passe bien et j’ai beaucoup de chance. Car on croit souvent qu’une fois passés les traitements lourds, tout est fini et on retourne au travail comme avant. Mais pas du tout ! Beaucoup de gens sortent cabossés de cette épreuve. Psychologiquement, physiquement et économiquement. Il y a aussi les traitements anti-récidive à prendre pendant des années, qui sont plus ou moins bien tolérés. J’aimerais rendre les employeurs attentifs au fait qu’il faut accompagner de manière individualisée les personnes qui reprennent le travail après une absence de longue durée. À la tête d’un département qui englobe les ressources humaines, j’ai d’ores et déjà demandé qu’on vérifie, sur le terrain, que notre accompagnement est bien adapté.
QUE RETIREZ-VOUS DE CETTE ÉPREUVE ?
Je ne me suis jamais enfermée dans une tour d’ivoire. Toutefois, la maladie m’a donné le temps de discuter avec des gens de tous horizons et d’aborder des sujets peu courants comme le corps, en souffrance qui plus est. Nous sommes alors dans nos vérités, il n’y a plus d’espace pour le masque social et ce sont des moments très intenses, qui ouvrent à de vraies rencontres. J’ai fait la connaissance de gens extraordinaires, qui ont partagé leur histoire avec moi. Je sors enrichie, drapée de tous ces fils d’histoires qui se sont emmêlés.
Le cancer, c’est une épreuve qui touche à tous les domaines de l’existence, même lorsqu’on a une situation favorable. Mais quand en plus surviennent des difficultés familiales, professionnelles ou économiques, tout prend une ampleur terrible. Il est important qu’une aide et une attention particulières soient accordées aux personnes qui se trouvent dans une telle situation. C’est pourquoi les associations comme la LVC jouent un rôle essentiel.
COMMENT VOYEZ-VOUS LA VIE AUJOURD’HUI ?
Je dirais que les deux épreuves quasi superposées, celle de ma mère et la mienne, ont changé mon rapport à la vie, aux priorités, à la spiritualité aussi. Être confrontée à la mort amène à beaucoup d’introspection. J’ai pris conscience de ma limite. Comme tout être humain, j’ai besoin de moments pour me ressourcer et j’en vois la nécessité. Ainsi que me l’a dit une pasteure durant la maladie de ma mère : « Pour donner de l’eau, une fontaine a besoin de se remplir. » Désormais, je m’accorde une plus grande priorité.
Propos recueillis par Christine Theumann-Monnier
Crédit photo : philippegetaz.ch