Lorsque les traitements contre le cancer arrivent à leur terme, le patient se retrouve seul. Lui qui a été placé sous l’oeil médical, dont la maladie a été scrutée par des professionnels, dont les pages de l’agenda ont été noircies de rendez-vous, doit faire face à lui-même. À ses doutes, aux effets secondaires, au fait d’avoir du temps, au sentiment de trahison qui peut apparaître vis-à-vis de ce corps qui a « lâché ». Aux injonctions à « profiter de la vie ». Au quotidien, aussi. Qui est celui que l’on a connu mais dans lequel on ne se reconnaît plus toujours. Comme le dit Anne Lagger, responsable du programme de réadaptation oncologique à la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC), « ce n’est pas parce que les traitements sont finis que les effets sont finis ». Face à ces derniers, le patient peut être démuni. C’est pour l’accompagner dans cette phase de l’après que la LVC a conçu le programme de réadaptation oncologique.
UN ACCOMPAGNEMENT AUX MULTIPLES FACETTES
Le principe ? Sous la direction d’un médecin, le programme comprend des activités collectives et des accompagnements individuels, pendant trois mois, à raison de deux à trois séances par semaine. Au début, chaque patient échange avec l’infirmière coordinatrice qui a monté ce programme pour « déposer son histoire ». Il remplit un questionnaire et note ses objectifs en matière de réadaptation. Puis, un ensemble de modules s’organise : ateliers thérapeutiques et psycho-oncologiques, activités physiques, gestion du stress et réhabilitation cognitive avec des neuropsychologues. Une boucle WhatsApp permet au groupe d’être tenu informé. Une fois le programme achevé, l’équipe médicale sort de cette conversation et leur laisse les rênes. Du groupe comme de leur indépendance. Le patient remplit une fiche d’évaluation. Les résultats sont là : 100 % des patients se sentent mieux à la fin du programme.
AU COEUR, LES BESOINS DES PATIENTS
Pour construire ce programme, l’équipe a lu la littérature scientifique, échangé avec les acteurs de la réadaptation. Et a beaucoup écouté les patients. Les mécanismes de dissimulation pour cacher les troubles cognitifs, les trous de mémoire, la méfiance vis-à-vis du corps, l’appétit envolé, l’anxiété retrouvée, les proches moins présents qu’aux débuts, l’injonction à rester courageux, le besoin de se retrouver entre pairs… les modules du programme ont été construits pour répondre à ces besoins. Hommes, femmes, personnes en rémission, en palliatif, ne parlant pas très bien français… ce programme est ouvert à toutes et tous. Le fait d’être en groupe, de se retrouver avec des personnes ayant le même lien identitaire vis-à-vis de la maladie, rend la parole possible. « Cela fait des années que je cherche à construire des groupes de parole entre personnes malades du cancer ou en rémission mais je n’y arrive pas. Ici, la parole se libère, les patients rient, pleurent, partagent quelque chose de vrai », explique l’un des psychiatres.
La dimension thérapeutique est structurante. Il s’agit d’un vrai plan de soin, non d’un assemblage d’activités axées bien-être. Aussi, des évaluations jalonnent le parcours, une équipe de personnes formées intervient auprès des patients, un comité de pilotage étudie l’impact thérapeutique des modules et une direction médicale est à la tête. La reconnaissance de cette offre de soin par les oncologues de la région valide la rigueur avec laquelle ce programme est pensé.
UNE ÉVIDENCE, LA DANSE
Un jour, David Rodriguez, ancien danseur au Béjart Ballet Lausanne, propose à Anne Lagger d’ajouter un atelier danse. Après avoir réalisé une revue de littérature, les bénéfices de la danse sonnent comme des évidences. En effet, au cours des traitements, la proprioception des patients, leur estime de soi, le rapport au corps, l’orientation et la manière de vivre le regard des autres se dégradent. La danse fait bouger les lignes. Il y a celles qui se sentent belles à nouveau, comme cette patiente qui explique : « Depuis mon opération, je me voyais comme une planche à repasser, je me détestais. Le professeur de danse nous a dit qu’on était belles et j’ai pleuré. » Celles qui enlèvent leur perruque pour la première fois. Celles qui se réapproprient leur corps, comme cette femme qui se disait « coupée, avec deux seins en moins » et qui s’est sentie de nouveau entière. Ceux qui osent entrer dans la danse comme cet ancien joueur de football. Ou cette patiente qui révèle que la première fois qu’elle a dansé, elle a senti que la vie revenait dans son corps.
ET LA SUITE ?
Quelque 65 patients participent chaque année en Suisse romande à ce programme, dans l’un des quatre centres de réadaptation (Lausanne, Yverdon, Clarens et Gland). Sur prescription du médecin, la majorité des prestations sont prises en charge par l’assurance-maladie de base. La part restante est assumée en majorité par la LVC et la contribution du patient se monte à 200 francs. L’enjeu consiste à permettre à davantage de personnes de se réadapter via ce programme. Ce qui est une question de ressources.
Texte par Cécile Gruet
Crédit illusration © Anne Bory
