Le réveil sonne, Frédéric Durand se lève. Le Nyonnais travaille depuis peu pour la Confédération. C’est un matin d’automne comme un autre, hormis une gorge un peu encrassée. Il crache dans le lavabo pour la dégager, et découvre du sang. « Aucun autre signe, aucune douleur », raconte-t-il. « C’était bizarre, alors je suis allé aux urgences. » Les examens ne révèlent rien sur la présence de sang, « mais un scanner détecte une masse suspecte derrière le pancréas ». Ces deux mots — « masse suspecte » — résonnent chez le jeune quadragénaire, marié et père d’une fillette de 9 ans. Le cancer a déjà touché trois de ses proches, dont sa mère, emportée après cinq années de lutte. La crainte est confirmée un mois plus tard, après des examens complémentaires au CHUV : une biopsie révèle un lymphome, cancer naissant dans les lymphocytes, ces cellules essentielles à notre système immunitaire. Plus précisément, un lymphome non hodgkinien, donc moins prévisible mais au développement lent. Nous sommes en décembre 2019, la vie de Frédéric Durand et de sa famille vient de basculer dans « l’après-diagnostic ».
UN LONG PARCOURS DE SOIN
Les soins commencent aussitôt. Frédéric reçoit des injections d’anticorps monoclonaux. Quatre le premier mois, puis une tous les deux mois. « Ces traitements visent à détruire spécifiquement les lymphocytes déficients », explique-t-il. En parallèle, malgré la fatigue intense qui suit chaque séance, il reprend son travail à temps plein en janvier. « Je venais de commencer cet emploi, je ne me voyais pas ralentir ! Rétrospectivement, c’était peut être un peu précipité. » Après six mois, les tests médicaux sont encourageants : la masse a diminué significativement, mais elle est toujours présente et les injections continuent. Début 2022, après deux ans de traitement, les médecins décident une pause d’observation. L’espoir ne dure pas : « Un an plus tard, la masse se reconstituait et une deuxième était apparue. » Il faut alors déployer l’artillerie lourde, avec chimiothérapie combinant trois médicaments, cortisone et autres anticorps monoclonaux. Sans surprise, les effets secondaires sont plus sévères — nausées persistantes, fatigue écrasante, perte des cheveux. « J’ai dû arrêter complètement de travailler », confie Frédéric. Mais il s’impose une activité physique : « Même quand j’étais au plus bas, je m’obligeais à sortir marcher un peu chaque jour. »
SPHÈRE FAMILIALE ÉBRANLÉE
L’impact touche bien sûr aussi la famille de Frédéric. « Ma femme a dû faire beaucoup plus à la maison », précise-t-il, reconnaissant. Sa fille, devenue une ado de 13 ans, intériorise bien plus qu’avant la maladie de son père. Ce cancer est-il d’origine génétique ? Sera-t-elle « la prochaine sur la liste » ? « Son inquiétude nous a chamboulés », raconte le père encore ému. « Nous avons tout fait pour la rassurer. » Frédéric Durand a toujours intégré la dimension mentale de la maladie. « Dès l’annonce de la chimiothérapie, j’ai senti le besoin d’un accompagnement. J’ai cherché un psychologue et en ai trouvé un sur le site web de la LVC. Les séances m’ont beaucoup aidé à encaisser psychologiquement ce que mon corps devait encaisser physiquement ! »
SE RÉADAPTER EN ÉTANT ENTOURÉ
En juillet 2023, arrive une excellente nouvelle : la chimio a très bien fonctionné, la masse n’est plus visible. On commence un traitement dit « de maintenance », soit des injections d’anticorps tous les deux mois durant deux ans. Frédéric Durand peut enfin penser davantage à la suite, le retour au travail, à la vie sociale… Pas évident quand on est encore affaibli et qu’on est resté très isolé pendant presque huit mois. « Le psy m’a alors parlé du programme de réadaptation oncologique de la LVC, une excellente idée ! » Le programme dure trois mois, à raison de deux demi-journées par semaine. Le Nyonnais y rencontre un petit groupe de patients pour des échanges d’expériences, des interventions de spécialistes et des activités physiques. « Parfait pour sortir de mon isolement, redevenir à l’aise en société. J’ai juste regretté que ce programme n’attire pas plus de participants, notamment d’hommes ! »
SAISIR L’AIDE EXISTANTE
Frédéric Durand a maintenant 46 ans. Plus de cinq années après avoir découvert du sang dans son lavabo, il poursuit sa vie « presque comme avant ». Son traitement de maintenance durera jusqu’à cet été. Il compose avec une fatigue persistante, continue de se plier à des contrôles surveillant une potentielle résurgence du cancer. « Il y a un équilibre à trouver entre détachement et combativité », conclut-il. « Regagner un peu d’insouciance, ne pas laisser la vulnérabilité nous paralyser. Mais ne pas complètement l’oublier pour rester prêt à se battre, au cas où. » S’il devait donner un seul conseil ? « Oser demander de l’aide. En Suisse, le système de santé est bien développé, les soins sont de qualité et de nombreux soutiens existent. Il faut saisir cette chance que beaucoup, ailleurs, n’ont pas. »
Texte par Nicolas Huber
Crédit photo © Philippe Gétaz