QUELLES ÉVOLUTIONS AVEZ-VOUS CONSTATÉES AU COURS DES DERNIÈRES DÉCENNIES, TANT SUR LE CANCER DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT, QUE SUR SA PRISE EN CHARGE ?
L’incidence et les types de cancers pédiatriques n’ont pas vraiment changé, juste une petite augmentation de l’ordre de 0,5 % par an. Ce qui a beaucoup évolué, ce sont les traitements. Il y a eu de nouveaux médicaments, de nouvelles combinaisons thérapeutiques et de ce fait, une augmentation bienvenue des taux de guérison. Dans les années 60, seul un enfant sur 10 survivait au cancer ; aujourd’hui 8 enfants sur 10 en guérissent.
Avec le recul, on a aussi vu que certains traitements n’étaient pas sans conséquences et que dorénavant, il fallait intégrer la question de leurs effets à long terme.
CONCRÈTEMENT, ON A PU SE DIRE « SI ON AVAIT PU TRAITER DIFFÉREMMENT, IL Y AURAIT EU MOINS DE SÉQUELLES » ?
Oui, et c’est précisément l’orientation de ma recherche : une amélioration de la survie qui ne soit plus seulement quantitative, mais également qualitative.
Notre grande chance fut de pouvoir instaurer, en 1976 déjà, puis implémenter au niveau national dans les années 90 le registre suisse du cancer de l’enfant, ce qui a permis de répertorier tous les cas diagnostiqués en Suisse. Grâce à ce registre, on a pu par exemple se faire une idée des relations entre radiothérapie crânienne et baisse des facultés intellectuelles 10 ou 15 ans après. On a pu comprendre l’apparition de cancers du sein chez les femmes irradiées au niveau du thorax dans leur enfance, ou encore observer les conséquences de certaines chimiothérapies sur le coeur, où leurs doses cumulatives sont le facteur de risque principal.
SACHANT QU’IL Y A TOUT DE MÊME MOINS DE FACTEURS DE RISQUE QUE CHEZ L’ADULTE, SAIT-ON CE QUI PROVOQUE UN CANCER CHEZ L’ENFANT ?
Dans la grande majorité des diagnostics, il n’y a pas de cause avérée. On a probablement affaire à une conjugaison d’aspects génétiques et environnementaux. On a passablement discuté du rôle éventuel des centrales nucléaires, des lignes à haute-tension ou des pesticides, mais les résultats sont controversés. Il est important de considérer ce que l’on appelle les syndromes de prédisposition génétique, qui vont favoriser le développement de différents cancers chez l’enfant ou l’adulte jeune dans une famille donnée.
Un exemple bien connu de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne est le rétinoblastome, une tumeur cancéreuse intraoculaire rare. On sait qu’une anomalie (N.D.L.R du chromosome 13 où se trouve le gène de prédisposition au rétinoblastome) peut être transmise de façon héréditaire, ce qui augmente considérablement le risque pour l’enfant d’avoir cette tumeur.
SERAIT-IL DÈS LORS POSSIBLE DE PRÉDIRE UN CANCER CHEZ UN ENFANT ?
Longtemps, on s’est dit que ça ne servait à rien de faire un dépistage des tumeurs pédiatriques, car il faudrait au moins savoir quoi chercher. Je pense que cela reste vrai pour la majorité des enfants. Toutefois, dans ces situations de prédisposition génétique, cela devient indispensable de réaliser le dépistage.
LE CANCER DE L’ENFANT EST UNE MALADIE RELATIVEMENT RARE ET ON SAIT QUE PENDANT LONGTEMPS, LA RECHERCHE DANS CE DOMAINE A ÉTÉ TRAITÉE EN PARENT PAUVRE PAR L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE. QU’EN EST-IL AUJOURD’HUI ?
En oncologie, on observe une flambée de nouveaux traitements, y compris en pédiatrie. Ce qui devient captivant, c’est la médecine dite personnalisée ou ciblée. L’intérêt est de traiter non plus seulement selon l’histologie (diagnostic basé sur la morphologie du tissu tumoral), mais en ciblant les altérations génétiques ou dans les voies de signalisation à l’intérieur des cellules. Certaines d’entre elles sont retrouvées aussi bien dans les cancers de l’adulte que de l’enfant ! Le même médicament « ciblé » peut donc être utilisé dans des diagnostics très différents, y compris pédiatriques, ce qui ouvre de belles perspectives de collaboration entre oncologie adulte et pédiatrique mais aussi éveille l’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour le cancer de l‘enfant.
CHEZ LES ADULTES, ON PARLE BEAUCOUP D’IMMUNOTHÉRAPIE…
C’est aussi vrai en pédiatrie. C’est un moyen supplémentaire à notre disposition, qui a le grand avantage d’être généralement bien moins toxique et plus « ciblé » que la chimiothérapie traditionnelle. Un exemple marquant de ces immunothérapies sont ces fameuses cellules CAR-T, des cellules immunitaires prélevées sur le patient lui-même, modifiées en laboratoire pour s’attaquer spécifiquement et intensément aux cellules malignes et réinjectées au patient. Les premières cellules CAR-T ont été développées pour traiter certaines leucémies réfractaires de l’enfant et ont montré leur efficacité même dans des situations auparavant désespérées.
ON DIT QUE LE CANCER EST UNE AFFAIRE DE FAMILLE : LES MÉDECINS TRAITENT EN GÉNÉRAL UN PATIENT ; VOUS LES PÉDIATRES, VOUS SUIVEZ LE PATIENT ET SON ENTOURAGE…
On réussit quand même mieux quand on regarde au-delà des aspects purement médicaux, pour aussi tenir compte des aspects sociaux et familiaux ! Évidemment, on ne s’occupe pas de la même façon d’un bébé avec un rétinoblastome que d’un adolescent avec une tumeur osseuse, mais on va toujours prendre en compte les structures familiales. On inclut maintenant non seulement les parents, mais également les frères et soeurs, et même souvent les grands-parents, qui sont des ressources importantes auxquelles on ne pense pas toujours. Oui, on s’occupe de cette médecine de famille là.
QUEL EST VOTRE PLUS GRAND SOUHAIT POUR L’AVENIR ?
Le voeu de tous les oncologues pédiatres dans le monde, c’est de pouvoir un jour parvenir à guérir tous les enfants. Nous avons la chance de vivre avec une médecine de haut niveau, avec des opportunités pour les centres universitaires de se concentrer davantage sur des domaines d’expertises spécifiques.
En même temps, on aimerait bien préserver cette médecine de proximité à laquelle nous tenons tant dans notre pays. Les déplacements sont une contrainte énorme pour les familles et il faut les soulager autant que possible. Ma vision, c’est d’arriver à trouver un équilibre entre les avantages de centres universitaires de médecine hautement spécialisée et la valeur ajoutée des établissements de soins de proximité.
Propos recueillis par Darcy Christen