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Ligue vaudoise contre le cancerQui sommes-nous?Notre journal

"Notre vie a été complètement boulversée"

Après le diagnostic d’un épendymome myxopapillaire* chez le jeune Ruben, les quatre membres de sa famille ont vu leur quotidien changer du jour au lendemain. Reportage à Cully, où l’épreuve a nourri une nouvelle confiance en l’avenir.

« Il fallait que je lâche », dit Alice dans un sourire encore étonné de ce qu’elle a vécu. « J’étais paniquée, parce que je m’occupe de tout à la maison. Mais avec cette maladie, on ne contrôle plus rien. On doit se laisser faire. » Assis à côté d’elle, Ruben, 11 ans, observe sa mère avec un mélange de reconnaissance et d’appréhension. Depuis que son cancer est guéri, le contrôle maternel a repris ses droits. Plus fort qu’avant ? « Oui, parfois un peu trop. » Il se lève, embrasse Alice et pose sa tête sur son épaule. Son visage a les traits d’un jeune sage. À l’autre bout de la table, l’oeil brillant, Rodrigo, le père, regarde la scène en silence. Un peu plus loin, enfoncé dans un canapé, le grand frère de 14 ans s’est enfermé entre deux écouteurs. « Rafael, raconte comment tu as vécu tout ça… » lance Alice. Pas de réponse. Rafael n’a pas envie de parler. Il en a marre de cette histoire.

UN LONG CHEMIN DE COURAGE

Pour les prises de sang, une boule rouge. Pour les passages aux urgences, un cube arc-en-ciel. Pour les séances d’IRM, une toupie jaune. Pour les mauvaises nuits, une pastille violette. À l’entrée de la cuisine, un chapelet de perles multicolores pend le long du cadre de la porte : c’est le Kanji, un outil d’encouragement mis en place par la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC). Chaque étape du chemin de croix de Ruben y est symbolisée par une couleur et une forme différente. En mai 2020, après des mois de douleur aux jambes, le diagnostic tombe : trois tumeurs bénignes sur la moelle épinière. Début juillet, huit heures d’opération au CHUV pour les enlever. Cinq jours plus tard, mauvaise nouvelle : les tumeurs étaient malignes. Il faudra six semaines de radiologie quotidienne à Villigen, en Argovie, dans un centre de protonthérapie unique en Suisse. Mi-octobre, Ruben est guéri, mais la vigilance est de mise. Il y aura encore quelques boules rouges à ramasser.

Une fois posée sur une table, la farandole de perles impressionne par sa longueur. On croit voir un serpent des Mille et une nuits. Ses multiples contorsions montrent à la fois l’endurance du jeune garçon et la richesse de moyens de notre système de santé. Mais où sont les perles qui racontent aussi le parcours personnel d’Alice, de Rodrigo et de Rafael ? Quel genre de forme et de couleur faudrait-il pour symboliser l’exil de Rafael dans la région parisienne, pendant six semaines, chez sa grand-mère maternelle, pour qu’Alice et Rodrigo puissent être disponible à 100 % pour son petit frère ? Et pour se rappeler les conversations totalement envahies par la maladie ? Pendant le séjour à Villigen, la famille s’est retrouvée littéralement coupée en deux : tout au nord du pays, cinq jours sur sept, Alice et Ruben, logés dans un appartement près du centre de radiologie ; à Cully, séparés pour la première fois de leur femme et mère, Rodrigo et Rafael, livrés à eux-mêmes dans une maison à moitié vide.

Oui, il faudrait aussi un Kanji pour les étapes de ce chemin-là. On y trouverait des perles pour exprimer le sentiment d’avoir basculé dans un autre monde et de voir sa vie « complètement bouleversée ». On y montrerait le besoin de Rodrigo de continuer à se rendre à son travail de jardinier dans un EMS de la région « pour mieux vivre la situation ». On y dirait le désarroi d’Alice, lorsque son fils lui demande : « Est-ce que je vais mourir ? » Et puis une belle grosse boule pour rappeler ce week-end, lorsque la famille s’est retrouvée en Argovie. Ruben a fièrement pris son père et son frère par le bras pour leur montrer le centre de protonthérapie : « Il y a eu beaucoup d’amour ce jour-là », se rappelle Alice. Toutes les perles ne racontent heureusement pas que des moments douloureux.

Mais peut-être faudrait-il encore fabriquer une troisième guirlande de souvenirs ? Tout en bénéficiant d’une prise en charge médicale « magnifique », la famille de Ruben s’est vue entourée d’associations aussi bienveillantes que des bonnes fées. L’ARFEC, Zoé4life (qui finance le Kanji) et puis bien sûr la LVC, dont l’assistante sociale Véronique Monachon a apporté un soutien continu tout au long du voyage au pays de l’oncologie. Son travail a duré jusqu’au retour de Ruben à l’école, où elle est allée rassurer les élèves de sa nouvelle classe, expliquer que le cancer n’est pas contagieux… « Tous ces soutiens nous ont offert un cocon », dit Alice. « Les gens étaient comme des proches, on se sentait protégés. » Aujourd’hui, des liens subsistent, mais depuis la fin du traitement, les aides se sont progressivement espacées. C’est bien normal. Ça n’empêche pas de se sentir désormais « un peu seuls »…

DE RETOUR DANS LA LUMIÈRE

Sur le grand mur du salon, un long tableau en trois parties reproduit le célèbre Amandier en fleurs de Van Gogh. Entre les branches constellées de fleurs blanches, un ciel intensément bleu, comme une promesse de lumière. Ruben n’a pas encore retrouvé sa sensibilité sur sa jambe droite et perd aussi parfois l’équilibre : les effets secondaires de la radiologie se font encore sentir. Mais tout semble aller vers le mieux. Au chômage au moment du diagnostic, Alice a trouvé un travail d’aide à l’intégration pour les enfants en difficultés scolaire dans une école de la région. Sorti de son canapé, Rafael raconte son rêve de devenir éducateur dans une crèche. « L’angoisse de la maladie est toujours là, dit Rodrigo, mais on verra. Pour le moment, c’est du passé. Et si ça revient, on luttera. » Ruben sourit. Il y a un an, il pensait avoir été choisi
par la malchance et l’injustice. Maintenant, un voile de légèreté couvre son visage. Il sait qu’il a toute la vie devant lui.

Pierre-Louis Chantre

* L’épendymome myxopapillaire se développe à partir des cellules de l’extrémité de la moelle épinière et peut se manifester par des douleurs dans le bas du dos, dans le périnée ou dans les deux jambes, comme une sciatique notamment.