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Ligue vaudoise contre le cancerQui sommes-nous?Notre journalCeux qui restent ont un grand rôle à jouer

Ceux qui restent ont un grand rôle à jouer

Mario-Charles Pertusio estime que le cancer reste tabou et souhaite que les survivants à la maladie soient davantage intégrés dans la société.

Ancien syndic, député au Grand Conseil et candidat au Conseil d’État vaudois, Mario-Charles Pertusio est une personnalité de la Côte. Cet épicurien volubile avait une vie très remplie – tendance hyperactive – jusqu’à ce qu’un lymphome agressif le frappe. Aujourd’hui, il témoigne pour que la société intègre mieux « l’après-cancer ».

UNE SIMPLE DOULEUR SOUS VOTRE BRAS A FINI PAR DÉBOUCHER SUR UNE CONVOCATION URGENTE ET UNE ANNONCE ABRUPTE : « C’EST GRAVE, TRÈS GRAVE, VOUS AVEZ UN CANCER. »
Je me rappelle très bien ce moment, car c’était une impression étrange vécue aussi par d’autres : cette fameuse fraction de seconde où tout bascule. J’étais soudainement devenu le Mario-Charles d’après.

QUELLES ONT ÉTÉ LES PREMIÈRES CONSÉQUENCES ?
Je suis allé au bureau le lendemain, un jeudi, pour ranger, car après le week-end, je partais en soins : IRM, scanner du cerveau, ponction de moelle épinière… L’image qui m’est venue plus tard de cette première semaine est qu’on avait équipé mon bateau avant de m’envoyer dans une traversée de l’Atlantique en solitaire ! Avoir un cancer, c’est partir pour un drôle de voyage.

APRÈS HUIT MOIS DE TRAITEMENTS LOURDS, DONT DE LONGUES CHIMIOTHÉRAPIES ET UNE AUTOGREFFE DE CELLULES SOUCHES, VOUS AVEZ PU RENTRER À LA MAISON. AUJOURD’HUI, 4 ANS PLUS TARD, QUE RESTE-T-IL DU CANCER ?
Je ne suis pas guéri, mais en rémission. Je continue de prendre beaucoup de médicaments. Je souffre de neuropathies dues aux chimiothérapies – des insensibilités continuelles aux membres et, pire, des séries de crampes douloureuses qui peuvent survenir de jour comme de nuit. Je n’ai plus de sommeil réparateur. Cela ajoute à la grosse fatigue de mon corps qui, clairement, n’est plus le même.

VOUS AVIEZ POURTANT RECOMMENCÉ À TRAVAILLER…
Oui, à 20 %, et j’ai adoré pouvoir le faire. Mais, en décembre dernier, j’ai dû accepter que ce n’était plus possible. Les trajets, les crampes, les nuits trop courtes… Quand vous consommez des opiacés à trois heures du matin, vous n’êtes pas censé prendre le volant quelques heures plus tard pour aller travailler ! C’était devenu ingérable et, physiquement, je n’en pouvais plus.

VOUS AVEZ DÉSIRÉ TÉMOIGNER SUR L’APRÈS-CANCER, POURQUOI CELA ?
Parce que l’après-cancer est un choc pour les malades. Quand vous sortez de traitement, vous vous rendez compte que la plupart des entreprises n’appréhendent pas ce que représente l’après-cancer. Vous vous sentez aussi stigmatisé, parfois très concrètement : une institution bancaire peut vous refuser un prêt, car vous n’êtes plus le même. Vous constatez que le prix de certains anticancéreux est 4 à 5 fois plus cher en Suisse qu’ailleurs. Qu’on regarde avec suspicion les bénéficiaires de l’assurance-invalidité. Plein de « petites » choses vous touchent qui vous paraissent incompréhensibles ou injustes. Vous vous sentez marginalisé, et même parfois coupable d’être différent, alors que vous n’avez pas choisi d’avoir un cancer !

L’ADMINISTRATIF NE DOIT PAS GOMMER CE SENTIMENT D’ÊTRE DEVENU DIFFÉRENT…
Oh non ! Il y a énormément de problèmes administratifs. Ils ne sont déjà pas faciles à comprendre quand vous avez tous vos moyens, alors là… Moi, j’ai de la chance : je suis formé, je maîtrise le français, mon parcours fait que je sais argumenter, me défendre. Malgré cela, je n’ai pas toujours le bagage nécessaire. Il est par exemple extrêmement compliqué de bien appréhender les implications d’une procuration, de récupérer de l’argent d’une assurance. C’est pour résoudre les difficultés administratives que j’ai fait appel à la Ligue, et cela m’a été très utile. Reste que, entre la santé, l’administratif et la réintégration dans le monde du travail, l’après-cancer est bien trop complexe pour les malades. On devrait le traiter différemment pour le rendre plus simple.

EN COMMENÇANT PAR QUOI ?
Par reconnaître l’existence de cette population que forment les personnes en rémission ! Dans notre société, la maladie est un tabou et on préfère l’ignorer. Mais, en Suisse, une personne sur trois sera atteinte d’un cancer au cours de sa vie, c’est énorme ! Entre les amis, la famille et les collègues de travail, on a tous au moins une personne qui a eu, qui a ou qui est mort de cette maladie. C’est bien de soigner – on le fait de mieux en mieux –, mais il faut aussi intégrer la population des survivants. Nous sommes là. Nous sommes de plus en plus nombreux. Nous avons une valeur ajoutée, car le parcours de vie qu’impose un cancer peut rendre plus fort. Ceux qui restent ont un grand rôle à jouer.

LA SOCIÉTÉ GAGNERAIT AUSSI À UNE MEILLEURE INTÉGRATION…
Bien sûr ! C’est comme avec les soins à domicile, aménagés il y a plus de 25 ans : ils engendrent des frais, mais leur absence coûterait bien plus cher. Les personnes atteintes dans leur santé et la société en bénéficient, c’est du win-win.

À QUELS RÔLES PENSEZ-VOUS ?
Six survivants sur dix peuvent revenir au moins un peu aux affaires. Il faut mieux les intégrer dans le monde du travail pour ne pas gaspiller leur expérience. Cela nécessite des aménagements – des temps de travail plus courts, voire un changement de poste. Certains employeurs le font déjà, bien sûr, mais ils sont encore trop peu nombreux. Et les choses sont souvent réalisées de manière improvisée. Un autre rôle est celui du patient-expert, qui se développe notamment au CHUV et aux HUG. L’idée est que l’expérience du patient, différente, complémentaire à celle du médecin, soit utilisée pour améliorer les soins. Cela va de l’annonce de la maladie à l’aménagement des chambres, en passant par l’équipement.

L’EXPÉRIENCE DE LA MALADIE PERMET AUSSI AUX SURVIVANTS DE DEVENIR DES «AMBASSADEURS DE L’APRÈS-CANCER », UN AUTRE RÔLE QUE VOUS ENVISAGEZ…
Oui ! La Ligue vaudoise contre le cancer fait un gros travail de sensibilisation, mais les entreprises ne sont pas tenues de la contacter, de s’informer. On pourrait imaginer quelque chose de moins facultatif, de plus proactif. Une sorte de task force cantonale – je pense à voix haute, là ! – qui comprendrait des survivants. Son rôle serait d’aider les entreprises à prendre des mesures d’intégration à l’image de celles existant pour les personnes en situation de handicap. Enfin, les individus comme moi pourraient aussi être davantage utilisés pour aider ceux qui traversent un cancer. Quand un docteur vous dit « vous allez faire des chimiothérapies de 5 jours », c’est dur à imaginer, à appréhender. Moi, j’aurais apprécié pouvoir en parler avec une personne ayant vécu cela, pour connaître les hauts et les bas, pour m’y préparer. J’endosserais volontiers le rôle de cette personne aujourd’hui si l’opportunité se présentait.

Propos recueillis par Nicolas Huber