CORALIE MERÉ, PARLEZ-MOI DE VOTRE PAPA.
C'est quelqu'un de généreux, qui veut toujours notre bonheur. C’est aussi quelqu’un de tenace : en deux ans de maladie, il n’a jamais manqué un jour de travail. Nous sommes une famille de cinq et avons toujours été très proches les uns des autres, mais avec mon père, un lien particulier s'est développé quand j'étais adolescente, au moment où je me suis passionnée pour l’équitation. Il n’y connaissait rien, toutefois il m’emmenait tous les week-end à mes concours avec mon poney Djezus et est devenu en quelque sorte mon second entraîneur.
COMMENT S'EST PASSÉ L’ANNONCE DU DIAGNOSTIC ?
Il n’y avait aucun signe précurseur, pas de douleurs, rien. Avec ma soeur, nous voulions juste qu’il fasse un contrôle annuel, car cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu de médecin. La prise de sang a indiqué quelque chose aux reins et une échographie lui a alors été prescrite. Toujours rien… Finalement, des taches ont été découvertes dans le foie. C’étaient des métastases. C'est là que tout a commencé.
Je m’en rappellerai toujours : il m'a appelée, j'étais au travail, j'ai hurlé, je me suis effondrée. C'était vraiment un choc. Je suis immédiatement rentrée à la maison, il y avait ma maman, nous étions les trois, mon frère et ma soeur étaient encore au travail. Nous avions réellement de la peine à réaliser. Je pense que c'est la pire maladie qui puisse arriver dans une famille. Soudain, c’est comme un trou noir dans lequel on est tous aspiré.
ÊTRE PROCHE AIDANTE À 30 ANS, C'EST QUAND MÊME ASSEZ JEUNE, NON ?
Chaque membre de la famille traverse cette maladie à sa manière et pour ma part, cela est passé par une période de dépression qui n’a pas été facile à accepter. Notre médecin de famille – qui est celui qui a annoncé le diagnostic – a joué un rôle très important pour moi, il n’y avait vraiment qu’à lui que je pouvais parler, même avec la psychologue je n’y arrivais pas.
Oui, j'aurais aimé faire d’autres choses en famille que d’être confrontée à cette maladie. Avec ma maman, nous étions l’une ou l’autre avec mon père à tous ses rendez-vous, sans exception. Il a fait cinquante-deux séances de chimiothérapie à ce jour, c’est impressionnant ! J’ai mis de côté ma vie de couple avec mon ami, avec qui je suis depuis huit ans, et j’ai lâché toutes mes activités du week-end. Je pense que c'est très important d’être présente, je n'imagine pas une personne traverser un cancer toute seule. Les patients ont besoin de leurs proches. Et je ressens aussi beaucoup de gratitude envers les soignants qui ont effectué un travail exceptionnel pendant ces deux ans.
COMMENT VIVEZ-VOUS CE QUOTIDIEN D’ACCOMPAGNANTE ?
On vit au jour le jour, on ne peut pas vraiment faire de projets. Le cancer amène son lot de souffrances physiques et psychiques, mais il y a aussi toute une série de démarches à entreprendre, d’autant qu’il n’est pas toujours aisé d’avoir accès aux bonnes informations, notamment pour ce qui est des assurances et des droits des patients. Cette pêche aux informations demande beaucoup d'énergie. De plus, il faut toujours négocier pour le remboursement de divers soins et traitements. Il y a aussi beaucoup de frais additionnels et il est important de veiller à bien tenir un budget. On se sent en permanence exténué.
Il y a aussi le risque de vivre une forme de solitude. Entendre certaines personnes se plaindre pour des choses futiles, alors qu’elles ne sont pas confrontées à la maladie renforce cette impression d’être déconnectée des autres. Pendant cette période, j'ai changé de travail et là, je me suis rendu compte que je n'avais pas eu beaucoup de soutien de mes collègues. À leur décharge, je ne voulais pas leur en parler parce que je sentais de toute façon qu’ils ne me comprendraient pas et je craignais une curiosité mal placée. Dans mon nouvel environnement professionnel, j’ai une cheffe et une collègue qui ont vécu la même chose que moi et désormais, j’arrive à en parler, même à en pleurer avec elles parfois. Cela fait du bien.
VOUS DISIEZ QUE VOTRE PÈRE N’A JAMAIS ARRÊTÉ DE TRAVAILLER ?
Oui, il faisait du télétravail parce qu'il ne voulait pas aller sur site pour éviter que ses collègues ne le voient ; c’était aussi plus facile pour lui pour gérer son temps, compte tenu des contraintes des traitements. Parfois il se levait à quatre heures du matin pour travailler avant d’aller à sa chimiothérapie. Puis en rentrant, il recommençait à bosser ! Je pense que pour beaucoup de personnes, le travail peut aider. Mais depuis quelques mois, il a commencé les séances de radiothérapie et cela fait vraiment trop en raison de la fatigue. Là, nous lui avons dit : Papa, arrête ! Il a donc dû se résigner à se mettre en congé maladie, après vingt ans dans la même société.
COMMENT S’OCCUPE-T-IL AUJOURD’HUI ?
Il aime beaucoup bricoler, notamment les vieilles voitures et les vieux vélomoteurs, c’est une passion qu’il partage avec mon frère. Avec ma maman et ma soeur nous préférons être ensemble au potager ou en forêt... Mais notre passion commune, ce sont les chiens. Dans notre famille, nous avons trois terriers du Tibet, dont le mien et le sien (rires). Mon chien est arrivé huit mois après l’annonce de la maladie ce qui m’a beaucoup aidé et celui de mon papa nous a rejoint un an et demi après. Cela lui a beaucoup apporté car il s’en occupe à 200 % et ça lui permet de penser à autre chose !
QUE RETENEZ-VOUS DE CETTE EXPÉRIENCE ?
La maladie nous a rapprochés plus que nous ne pouvions l’imaginer. Même s’il doit poursuivre ses séances de radiothérapie, on voit que mon papa ne souffre pas trop et par chance, il n’est pas à l’hôpital, ça nous aide beaucoup. Notre famille reste plus soudée que jamais et on recommence à faire des projets. Cet été, nous partons tous en famille, avec nos conjoints…et les chiens ! On veut en profiter au maximum !
Propos recueillis par Darcy Christen
Crédit photo : Philippe Gétaz – philippegetaz.ch