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Lorsque l'art devient un tuteur de résilience

Dans L’Art qui guérit, le neurologue français Pierre Lemarquis raconte comment le travail artistique, mais aussi la fréquentation de l’art, peuvent aider face à la maladie. Témoignage de deux femmes qui vivent dans la région lausannoise et que l’activité créatrice a soutenues face au cancer du sein.

Que l’art puisse épauler le travail de la médecine n’est pas tout à fait nouveau. Des cultures indigènes ancestrales à l’Antiquité grecque, l’idée que le chant, la musique, le théâtre ou la peinture ont des effets bénéfiques sur la santé relève de l’évidence. Mais comme le souligne Pierre Lemarquis au début de son livre L’Art qui guérit, ce point de vue revient aujourd’hui avec force.

En 2019, un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que « l’art peut être bénéfique pour la santé, tant physique que mentale ». Selon l’organisation, « les interventions artistiques » viennent « complémenter les traitements médicaux plus traditionnels ». Le neurologue français, qui a notamment travaillé avec Boris Cyrulnik, précise que la position de l’OMS repose sur des centaines de publications scientifiques : « Les arts, dit Pierre Lemarquis en résumant le rapport, diminuent les effets secondaires… et s’avèrent parfois plus probants que les traitements usuels. »

L’ART SCULPTE NOTRE CERVEAU

Mais comment ce mécanisme fonctionne-t-il ? Spécialiste en neuropsycho-pharmacologie, Pierre Lemarquis montre comment « l’art sculpte notre cerveau en modifiant son fonctionnement ». Pratiquer un art, mais aussi fréquenter des oeuvres en allant au musée ou au spectacle, sécrète de la dopamine, l’hormone de l’élan vital, ou de la sérotonine, qui a des vertus antidépressives, ou encore de l’ocytocine, qui stimule l’amour et l’attachement. La peinture, le théâtre, la musique ou l’art contemporain produisent une action double : ils tonifient « en renforçant les circuits appropriés de cellules nerveuses pour nous permettre d’admirer et de créer une oeuvre ». Mais ils « caressent » également notre cerveau « en stimulant le système du plaisir ». Pierre Lemarquis va même jusqu’à dire qu’une oeuvre d’art « est pour notre cerveau comme une personne vivante avec laquelle il est possible d’interagir ».

S’IMMERGER DANS UNE PEINTURE

L’Art qui guérit illustre son propos avec plusieurs exemples d’artistes dont l’art a joué un rôle de thérapie. Au 16e siècle, le peintre et graveur allemand Albrecht Dürer inaugure le genre de l’autoportrait en dessinant l’endroit du corps où il souffre. Au 19e, Charles Baudelaire distille son spleen en écrivant Les Fleurs du mal. Au 20e siècle, le spectateur d’un musée aurait trouvé la force de survivre à un infarctus en fixant un tableau du Catalan Antoni Tapiès. Contemporaine de ce dernier, la plasticienne Niki de Saint Phalle a surmonté les abus de son père en utilisant l’art comme « un tuteur de résilience ». Pierre Lemarquis raconte aussi comment les hommes-médecins des Amérindiens Navajos, qui vivent à l’ouest des États-Unis, immergent leurs patients dans une peinture de sable.

TROUVER REFUGE DANS SON ATELIER

Pas besoin cependant d’aller chercher aussi loin pour se convaincre des effets bénéfiques de l’art, notamment contre le cancer. Résidente à Prilly, dans l’Ouest lausannois, Corinne Schäfer fabrique des colliers avec du verre de Murano, qu’elle travaille au chalumeau. « C’est ma bulle », dit cette ancienne assistante de 73 ans qui s’adonne à ce loisir depuis deux décennies. En 2020, 25 ans après une première tumeur au sein, la maladie réapparaît. La nouvelle l’ébranle, mais elle garde une distance et trouve refuge dans son atelier de Corseaux, près de Vevey, où elle va trois fois par semaine : « Quand je retrouve mon verre et mon petit monde fermé, je me sens protégée », dit la retraitée, que la situation a même « boostée » au point de se laisser aller, selon ses termes, « dans la déconnade ». En plus des perles, elle crée de multiples galets de verre en forme d’yeux : « J’ai commencé à les coller sur des morceaux de bois. Les gens se sont mis à rire autour de moi. Et finalement, c’était le but. »

CRÉER POUR DÉCANTER LA DOULEUR

Cette dimension émotionnelle et sociale, que l’art favorise lorsqu’on le pratique ou le fréquente, rejoint l’expérience de la Lausannoise Maricel Marin-Kuan. Atteinte par un cancer du sein à 36 ans, elle commence par se révolter contre le vide relationnel dans lequel nous laisse le système de santé. Puis en 2013, avec la Coalition Europa Donna dont elle est devenue la responsable en Suisse romande, elle conçoit un « agenda » intitulé « Ma boussole ». Destiné aux femmes atteintes de la maladie, la brochure sert à la fois de mémo de ressources et d’instrument de partage. Des témoignages, des recommandations et des astuces personnelles y défilent. L’ouvrage est illustré par les oeuvres intensément colorées d’une artiste colombienne, Malu Pulgarin. Et au sein de chaque chapitre, parmi différents thèmes, celui de la créativité est omniprésent. « J’ai intégré l’art dans l’agenda dans une perspective d’ensemble », dit la Colombienne, qui a également initié un atelier annuel d’art-thérapie. Des groupes de femmes y ont créé des matriochkas, ces poupées russes qui symbolisent une intériorité multiple qu’on découvre couche après couche. Le travail artistique était suivi de moments d’échanges, où chacune pouvait exprimer sa douleur et prendre conscience de ses ressources intérieures : « L’art n’a pas seulement à voir avec la beauté, il sert aussi à montrer la douleur », dit Maricel Marin-Kuan, qui place la création au même niveau que l’activité physique, dont les bienfaits sur le système immunitaire sont aujourd’hui connus. « Faire de la peinture ou de la céramique, par exemple, permet de décanter la douleur. On sort alors d’un état de souffrance chronique et on devient plus forte. »

UN ART À MULTIPLES BIENFAITS

« Je travaillais déjà le verre bien avant la maladie, mais ces derniers temps, j’ai réalisé que c’était plus qu’un loisir », dit Corinne Schäfer. « Quand je tiens mon chalumeau, je ne pense à rien. Mon cerveau se vide. Et au bout d’un moment, si je regarde ma montre, je me rends compte que trois heures ont passé sans que je les voie. » L’artisane en verrerie décrit là une fonction supplémentaire de l’art, celle de nous plonger dans un état de méditation qui permet d’oublier, de s’échapper, de se pacifier. Sans doute Pierre Lemarquis parlerait-il ici de la mélatonine, qui exerce un effet d’hypnose et permet de passer des nuits sereines. De la force, de l’amour, du plaisir, de la paix et finalement, un bon sommeil... Décidément, quel bienfait les arts ne dispensent-ils pas ?

Pierre-Louis Chantre

L’Art qui guérit, Pierre Lemarquis, préface de Boris Cyrulnik, éditions Hazan, 2020.
Illustration inspirée librement du tableau La Danse d’Henri Matisse, réalisé en 1910.