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Une inovation médicale qui déborde les assurances

Toujours plus courant, le recours aux médicaments dits « hors étiquette » se voit traité de façon inégale par les assurances maladies. Un phénomène qui s’explique notamment par la situation de leurs médecins-conseils.

« L’égalité de traitement des assurés LaMal n’est pas garantie à l’heure actuelle. » Parmi les résultats d’un rapport d’évaluation commandité par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) en 2020 *, cette conclusion révèle une faille longtemps sous-estimée du système de santé suisse. Dans le domaine des médicaments a priori non remboursés (dits aussi off-label ou « hors étiquette »), les patients se voient traités de façon inégale. Lorsque certaines conditions sont réunies, la loi permet aux caisses maladies de rembourser un traitement qui n’est pas inclus dans la « liste des spécialités » homologuée par la Confédération. Mais lorsqu’on leur soumet une situation clinique identique, les assurances réagissent de façon sensiblement différente. Les unes acceptent le remboursement, les autres pas, tandis que d’autres ne parviennent pas à se prononcer.

DES MÉDICAMENTS TOUJOURS PLUS PRESCRITS

Ce phénomène d’inégalité de traitement devant l’assurance maladie suisse touche particulièrement les personnes qui souffrent d’un cancer. Depuis plusieurs années, les oncologues prescrivent de plus en plus de médicaments off-label à leurs patients. Les progrès de la médecine, avec des traitements toujours plus personnalisés, demandent de recourir souvent aux produits hors étiquette. Aujourd’hui, environ un tiers des adultes atteints d’un cancer reçoit des médicaments off-label. Et selon Thomas Cerny, oncologue et membre du Comité de la Ligue suisse contre le cancer, ce recours va devenir « la norme en oncologie ». Les cas d’inégalité de traitement risquent donc fort de se multiplier à l’avenir.

Mais comment comprendre que notre système de santé, régulièrement vanté comme l’un des meilleurs du monde, aboutisse à une telle situation ? Chef de projet au sein de la Ligue suisse contre le cancer, Dimitri Kohler pointe une série de raisons. La première tient à la multiplicité des caisses d’assurances maladies : « La Suisse compte une cinquantaine de caisses maladies très hétérogènes. Certaines gèrent plus d’un million d’assurés. D’autres en comptent moins de 10 000. Cette situation implique des manières de travailler très diverses qui influencent le temps de réponse et la décision de remboursement face à une demande de prise en charge d’un médicament off-label. » Selon la loi, toute assurance devrait répondre dans les deux semaines après l’envoi d’une demande de remboursement par un médecin. Il n’est cependant pas rare que ce délai soit largement dépassé. Chacun sait pourtant que le temps d’attente pour recevoir un traitement joue un rôle crucial dans l’évolution d’un cancer.

DES ASSURANCES DÉPASSÉES PAR L’INNOVATION MÉDICALE

Derrière la diversité des caisses maladies se cache cependant une figure centrale du système d’assurance maladie suisse. Lorsqu’elles reçoivent une demande de remboursement pour un traitement hors étiquette, les caisses se tournent vers des médecins-conseils, qui émettent un avis sur la pertinence de la requête. Mais les compétences de ces consultants sont extrêmement variées. Le médecin-conseil sollicité par une assurance peut être rhumatologue, gastroentérologue, orthopédiste... Sa qualification relève rarement de l’oncologie. Face à une demande de traitement off-label contre le cancer, il doit alors prendre connaissance d’une littérature scientifique très éloignée de son domaine. Parfois, il doit demander à son tour un avis auprès d’un autre spécialiste.

Cette cascade de démarches complique inéluctablement le processus de décision. La barrière du médecin-conseil frustre par ailleurs beaucoup les spécialistes du cancer qui prescrivent les traitements, et dont les compétences se voient éventuellement remises en cause par une consoeur ou un confrère auquel ils n’ont, de surcroît, généralement pas accès. Un quart des demandes de remboursement de médicaments off-label se voit ainsi refusées : « Il y a un décalage entre la médecine oncologique actuelle et cette fonction de médecin-conseil instaurée par la LaMal en 1996 », dit Dimitri Kohler, qui conclut : « Dans le domaine du cancer, nous avons aujourd’hui un système d’assurance qui n’est pas au niveau de l’innovation médicale et doit être adapté. »

En juin 2022, la Confédération a lancé une procédure de consultation qui doit permettre de réviser plusieurs ordonnances d’application de la LaMal. Parmi les solutions soumises à examen, on trouve l’obligation pour les médecins-conseils des assurances d’utiliser un instrument d’évaluation commun, l’OLUtool (pour off-label use). Cet outil existe déjà, mais sans être systématiquement utilisé. Une telle contrainte devrait permettre de réduire la part de subjectivité dans l’évaluation des demandes de remboursement et, comme l’espère Dimitri Kohler, « d’arriver petit à petit à diminuer les inégalités de traitement ».

* « Évaluation de la prise en charge de médicaments dans des cas particuliers selon les articles 71a–71d OAMal : Rapport final 2020 » Dr Wolfram Kägi, Miriam Frey et Thomas Möhr (BSS), Yvonne Bollag, Caroline Brugger (asim)

Pierre-Louis Chantre

Crédit photo : César Décoppet - LES BANDITS