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Ligue vaudoise contre le cancerQui sommes-nous?Notre journal

Aider mais ne pas fusionner

Alexandre Jollien est philosophe, scénariste, youtubeur et parrain d’Espace Proches*. Il aime sillonner au quotidien ce qu’il nomme le grand chantier de l’existence : l’attachement, la dépendance. Comment traiter de la question du don de soi lorsqu’un proche est confronté à la maladie ? La philosophie peut-elle nous aider ? Entretien avec un sage espiègle.

LORSQU’UNE PERSONNE QU’ON AIME NOUS ANNONCE SON CANCER, ON SE SENT DÉROUTÉ. MAIS IL FAUT SE MONTRER FORT. ÊTRE PROCHE AIDANT, N’EST-CE PAS UN PEU VIVRE LA MALADIE DE L’AUTRE EN LE PRÉSERVANT DE NOTRE PROPRE VULNÉRABILITÉ ?

Il me paraît essentiel de ne pas carburer qu’à la volonté, sauf à finir complètement épuisé. Celle-ci est le gouvernail de la vie, non le moteur. Traverser une épreuve, se coltiner l’adversité au jour le jour, réclament un art de vivre, un gai savoir, comme dirait Nietzsche, pour ne pas tomber dans l’aigreur, le ressentiment, l’amertume. D’où la nécessité de se ressourcer et, d’abord, de repérer ce qui me recrée, me met littéralement en joie. Swâmi Prajnânpad (NDLR maître spirituel indien) dit qu’aimer l’autre, c’est l’aimer dans sa différence, ne pas le ramener à ses catégories, ni le plier à sa volonté, mais tout mettre en œuvre pour l’accueillir inconditionnellement, pour l’aider à devenir qui il est au fond du fond, sous les étiquettes, au-delà des rôles, des fonctions, des souvenirs. Où sont les forces du jour ? Un maître qui m’est cher, Chögyam Trungpa (n.d.l.r. maître du bouddhisme tibétain), a dû fuir son Tibet natal envahi par les Chinois. En route, ses camarades et lui ont failli crever de faim. Ils ont même dû cuire leurs sacs de voyage pour se nourrir. À un moment donné, arrivant en Inde, ils ont traversé un champ de bananes, mais ne sachant pas que ce fruit était comestible, ils n’y ont pas touché. Outre l’horreur de la situation, il y a un enseignement très fécond : on peut crever de faim dans une bananeraie… Le défi, c’est de repérer ce qui nous régénère, ce qui nous permet de maintenir le cap.

PARFOIS, NOS PROCHES NE DEMANDENT PAS NOTRE AIDE, PARCE QU’ILS NE VEULENT PAS NOUS DÉRANGER OU SIMPLEMENT PARCE QU’ILS SOUHAITENT NOUS PROTÉGER. COMMENT FAIRE ALORS POUR AVANCER ENSEMBLE ?

Respecter l’altérité, s’émerveiller devant la différence de l’autre qui n’est pas un copier-coller de soi, est un sacré défi. Dans le même temps, il s’agit de passer du « je » au « nous », de réhabiliter le collectif. Notre société exacerbe l’individualisme et donc, du même coup, elle isole, met de côté, renvoie plus d’un sur la touche. Ensemble, voilà le mot… Le « nous » n’est pas un fatras, un amas, un agrégat mais une dynamique à bâtir. Attention à ne pas imposer son aide ! Même avec la meilleure volonté du monde, on peut blesser. J’ai toujours été frappé par la loi de Thucydide qui dit que c’est un fait de nature que l’homme prenne le pouvoir dès qu’il le peut. C’est très subtil et l’ascèse, la vigilance consistent à repérer toutes nos velléités de domination. L’autre ne nous appartient pas. Écouter, tendre l’oreille et aussi dire ses peurs, sa maladresse, sa fatigue et ses limites. Le tout est le terrain du progrès, son matériel. Dialoguer, échanger, sortir d’un implacable silence, créer des ponts au jour le jour, d’instant en instant.

SI LA MALADIE DEVIENT CHRONIQUE, LE RISQUE D’ÉPUISEMENT EST ÉNORME POUR LE PROCHE AIDANT. COMMENT FAIRE LA PART ENTRE CE QUE JE PEUX CHANGER ET CE QUE JE DOIS ACCEPTER ? EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE PEUT M’AIDER ?

La vie procède d’un marathon et non d’un sprint. L’âme a ses saisons, son rythme qu’il convient d’entendre. Les mystiques soufis distinguent l’état de l’étape. Nous pouvons nous enliser dans un état d’amertume, être complètement découragés et pourtant, même si cela ne se perçoit pas, franchir une étape décisive, avancer vers le progrès. Chaque être, même mourant, peut accéder au progrès, inscrire son quotidien dans une dynamique. Quel est le centre de notre existence ? Le combat, les luttes, la résistance ? Ne jamais hésiter à demander de l’aide. L’être humain n’est pas une causa sui, un empire dans un empire dirait Spinoza. D’où la nécessité de lien solidaire pour se jeter sur les chemins de l’existence. À qui pouvons-nous, en toute confiance, lancer nos SOS ? Qui est vraiment là ? Tisser des liens, créer des réseaux, voilà un rempart contre le fatalisme !

LE PROGRAMME DE RECHERCHE « YOUNG CARERS » DE LA HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE KALAIDOS À ZURICH A MIS EN ÉVIDENCE LE RÔLE IMPORTANT DES JEUNES : EN SUISSE 8 % DES 10-15 ANS SONT PROCHES AIDANTS. COMMENT GRANDIR ET DONNER SENS À CE VÉCU D’ACCOMPAGNANT DE LA SOUFFRANCE DE L’AUTRE ?

Il arrive à mon fils de me raser, à ma grande fille de retranscrire pléthore de textos en une journée. Sans les coups de main de mes enfants, je n’irais pas loin. Il est essentiel de ne jamais considérer un proche aidant comme un infirmier, de l’enfermer dans une fonction. Sans forcing, nourrir une réelle reconnaissance. Ne pas non plus en faire un drame. Il n’est pas honteux d’avoir besoin de l’autre. Et quel enseignement pour les jeunes d’apprendre qu’on n’est pas des self-made men et des self-made women, que la solidarité nous rend humain, que nous sommes des êtres de liens. Là où ça se corse, c’est quand le besoin devient fardeau, quand il pèse et devient le centre de la vie, une corvée de trop, une source d’épuisement général. Aide et non pas fusion. Éduquer, c’est ultimement rendre libre, aider l’autre à devenir pleinement qui il est. Les grilles de lecture, les repères d’une personne handicapée, d’un être qui vit la maladie, qui se bat au quotidien, ne sont pas les mêmes que ceux d’un garçon ou d’une fille qui s’éveille à l’existence. Complémentarité, non pas confusion… La souffrance ne donne aucun droit. L’ascèse, ici, c’est de tout mettre en œuvre pour qu’un certain état de dépendance ne devienne le lieu ni de l’humiliation, ni de la honte, ni d’une quelconque exploitation, mais une occasion, une chance de grandir ensemble, de s’épauler, de partager. Sans tomber dans le donnant-donnant, il est aussi vital de montrer qu’un être, aussi faible soit-il, peut apporter mille richesses à celui qui lui prête main-forte.

Propos recueillis par Darcy Christen

 

*Espaces Proches est une association vaudoise visant à offrir conseil et soutien aux proches de personnes atteintes dans leur santé.

 

 

 

 

 

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