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Ligue vaudoise contre le cancerQui sommes-nous?Notre journal"Ma nouvelle voix est mécanique"

"Ma nouvelle voix est mécanique"

Maurice Manera : « J’ai fini par apprivoiser ma nouvelle vie, mais les consé- quences physiques et psychiques sont lourdes. »

Un cancer de la gorge, puis une ablation totale du larynx : la maladie de Maurice Manera a constitué un tournant dans sa vie. Il respire et parle différemment. Rencontre.

VOTRE CANCER DE LA GORGE A ÉTÉ DÉTECTÉ EN MARS 2013, VOUS ÉTIEZ ALORS ÂGÉ DE 59 ANS. QU’AVEZ-VOUS RESSENTI À L’HEURE DU DIAGNOSTIC?
Un profond sentiment d’injustice. Je me suis demandé « pourquoi moi ? » Mais je crois que le plus difficile était la perspective de savoir que j’aurai « quelque chose » en moins: les médecins m’ont fait savoir qu’ils devraient me retirer mon larynx. J’ai vécu cette intervention chirurgicale comme une mutilation.

VOUS RESPIREZ DORÉNAVANT PAR UNE INCISION PRATIQUÉE DANS LA TRACHÉE, À LA BASE DE VOTRE COU…
Oui, on appelle cela une trachéostomie. Avec l’ablation du larynx, mes voies respiratoires et digestives sont désormais séparées. Ma trachée est suturée au niveau de cette incision dans le cou et c’est de cette manière que l’air peut passer dans mes poumons. Je n’inspire et n’expire donc plus par la bouche et le nez, mais par la stomie. C’est également par la stomie que j’éternue: l’air s’échappe brusquement par cet orifice et provoque généralement une quinte de toux. Quant à mes rires et mes pleurs, ils sont désormais silencieux.

ET VOUS DEVEZ CONSTAMMENT PROTÉGER VOTRE STOMIE ?
En permanence. Je porte des protections qui filtrent les impuretés et les poussières, une fonction qui est normalement assurée par le nez. Je dois nettoyer ces filtres plusieurs fois par jour: je ne sors jamais sans un miroir et des brosses de nettoyage. Je dois également être très attentif à ne pas laisser pénétrer de l’eau dans ma stomie – au risque de m’étouffer – et utilise des pansements spécifiques pour la douche.

AUTRE CONSÉQUENCE DIRECTE DE L’ABLATION DE VOTRE LARYNX : LA DISPARITION DÉFINITIVE DE VOTRE VOIX. AVEZ-VOUS RÉUSSI À EN FAIRE LE DEUIL ?
Oui, petit à petit, mais cela a été un vrai traumatisme. Au sortir de l’opération, amputé de mes cordes vocales, je ne pouvais plus parler du tout, tout juste émettre un pseudo-chuchotement en bougeant les lèvres. Pour me faire comprendre, je devais tout coucher par écrit. C’était angoissant et frustrant à la fois. La voix fait partie intégrante de la personnalité et permet de véhiculer de nombreuses émotions: je me sentais comme dépossédé de moi-même. Heureusement, il existe des prothèses vocales qui permettent de faciliter la communication avec l’entourage. Je m’en suis rapidement fait poser une.

C’EST D’AILLEURS GRÂCE À CETTE PROTHÈSE QUE NOUS POUVONS PARLER ENSEMBLE…
Absolument, mais je dois m’aider de ma main. Quand je bouche ma stomie avec un doigt, un peu comme un flûtiste le ferait pour jouer de son instrument, l’air qui vient des poumons ne peut plus s’échapper à la base de mon cou. Il passe alors par l’implant vocal – qui assure la communication entre la trachée et l’œsophage – puis remonte dans ma bouche. Je peux ainsi produire des sons audibles, sortes d’éructations articulées, mais cela me demande beaucoup d’efforts et je ne peux pas faire de longues phrases. Cette voix est mécanique. Pour ceux qui connaissent Star Wars, je parle comme Dark Vador (rires) !

C’EST UNE NOUVELLE IMAGE DE SOI QU’IL FAUT SE RÉAPPROPRIER. COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS EN SOCIÉTÉ ?
Plutôt bien. Dans un premier temps, les gens sont surpris par ma manière de communiquer – c’est très impressionnant, je le sais – mais ils s’y habituent vite. Et puis je réussis à faire passer beaucoup de choses dans mon regard. Certaines personnes parviennent également à lire sur mes lèvres quand je n’arrive pas à terminer une phrase. Je reste néanmoins limité dans mes interactions sociales. La communication en milieu bruyant est difficile. Et c’est ma femme qui répond au téléphone à ma place. Je suis, par la force des choses, plus en retrait qu’auparavant.

ÊTES-VOUS ÉGALEMENT LIMITÉ DANS VOS ACTIVITÉS PHYSIQUES ET VOS PRISES ALIMENTAIRES ?
Sur le plan physique, je suis clairement amoindri. Je suis rapidement fatigué, essoufflé et sujet à de violentes quintes de toux. Sur le plan alimentaire, je peux manger ce que je veux. Mais comme mon odorat s’est affaibli, les aliments ont tous plus ou moins le même goût

LA MALADIE A BOULEVERSÉ VOTRE QUOTIDIEN. A-T-ELLE ÉGALEMENT EU DES RÉPERCUSSIONS PROFESSIONNELLES ?
Le cancer a signé ma « mort » professionnelle. Quand je suis tombé malade, je tenais un kiosque avec ma femme. Comme petit indépendant, je n’avais pas contracté d’assurance perte de gain, trop chère pour mon budget. Ma femme et moi avons eu de la peine à joindre les deux bouts durant de nombreux mois, le temps que l’assurance-invalidité statue sur mon dossier. Depuis une année, je suis au bénéficie d’une rente à 75% et nous pouvons envisager notre avenir financier avec davantage de sérénité.

AVEZ-VOUS PU VOUS RECONSTRUIRE PSYCHOLOGIQUEMENT ET SOCIALEMENT ?
J’ai fini par apprivoiser ma nouvelle vie. Il y a des jours meilleurs que d’autres. J’ai des sautes d’humeur fréquentes et, quand je me sens mal, c’est ma femme qui en fait les frais. C’est dur pour nous deux. Depuis deux ans et demi, nous rencontrons, en couple, une assistante sociale de la Ligue vaudoise contre le cancer. Ce soutien moral nous fait beaucoup de bien. Nous pouvons mettre les choses à plat et nous exprimer en toute confidentialité. Nous ne disons pas forcément tout à notre entourage.

VOUS ÊTES SOURIANT ET TRÈS COMMUNICATIF, MAIS ON SENT AUSSI BEAUCOUP DE GRAVITÉ CHEZ VOUS…
Je suis serein pour la suite. Mais le « crabe » est dans ma tête: j’ai peur de la récidive. Je regrette parfois d’avoir trop fumé et trop bu. Cela dit, réécrire l’histoire ne sert à rien. Dorénavant, je carbure au café. On en reprend un ? (large sourire)

Propos recueillis par Béatrice Tille